Préparer notre avenir énergétique

Fort de ces constats, la tentation est grande d’en tirer quelques leçons. Bien sûr le coût n’est pas le seul paramètre à prendre en compte, mais nous pouvons profiter de ce rapport pour nous prêter à quelques comparaisons, dans l’optique d’un prochain scénario énergétique.

Brève comparaison des différentes énergies

Combien coûtent les principales sources d’énergie électrique ? Le tableau suivant fait le point sur les prix (4) :

Source : Dumont / 23dd.fr

Coût de différentes sources d’énergie électrique

Équipement

Source

Mise en service

Durée d’utilisation

Coûts €2010/MWh

Nucléaire : EPR

DGEC 2008 / Areva

2020

92 %

50-60

Nucléaire : EPR

CdC d’après coût MW installé

 

92 % ?

65-84

Nucléaire : EPR

23dd.fr d’après CdC + doublement démantèlement + 75 % taux d’utilisation

 

75 %

83-100

Gaz naturel (CGC)

DGEC 2008

 

7000 h

63

Charbon pulvérisé, tt fumée                 

DGEC 2008

 

 

57

Éolien terrestre

DGEC 2008

2012

2400 h

75

Éolien terrestre

Areva 2008 citant Enel / E.on

2008

 

54

Éolien terrestre

DGEC 2008

2020

2400 h

63

Photovoltaïque

DGEC 2008

2012

Sud Est France
3 kWc / 300 kWc /3 MWc

407 / 288 / 232

Photovoltaïque

DGEC 2008

2020

Sud Est France
3 kWc et 300 kWc /3 MWc

266 / 209 / 174

Comparer les coûts à horizon 2020

La mise en place d’une stratégie énergétique se traduira par une montée en puissance progressive des nouvelles installations sur un temps relativement long. C’est pourquoi pour construire une telle stratégie il faut comparer les coûts à horizon 2020. Personne ne possède de boule de cristal, mais il est impératif de se fonder sur des projections. Il ne serait en effet pas plus réaliste d’utiliser les coûts d’aujourd’hui car cela reposerait sur l’hypothèse qu’ils ne varieront pas. Or, rien n’est moins sûr, puisque les technologies et les filières industrielles évoluent rapidement. Il importe cependant de se fonder sur des technologies existantes.

Coût de production : les tendances à moyen terme

Il est important de prendre en compte les tendances. Selon la Cour des Comptes le coût du nucléaire suit une pente ascendante, tandis que le prix du gaz augmentera probablement mais d’une manière difficile à évaluer.

Le prix de l’énergie éolienne terrestre quant à elle, qui est la plus compétitive des ENR électriques, suit une pente descendante qui devrait l’amener, si ce n’est déjà fait, sous le coût du gaz et du nucléaire.

Ainsi le coût du nucléaire mis en service en 2020 dépassera de 10 € à 40 € par MWh le prix de l’éolien terrestre, et dépassera probablement le prix de l’électricité au gaz ou au charbon. Il sera ainsi la plus chère des principales sources d’énergie électrique. Ce résultat, qui vient en contradiction avec ce que l’on pense généralement, provient des sources les plus officielles.

L’éolien terrestre deviendra par contre l’une des sources d’énergie électrique les moins chères, et elle l’est probablement déjà si l’on suit l’estimation fournie par Areva, qui s’est lancée récemment dans l’éolien.

L’éolien offshore restera assez cher, mais ses perspectives à plus long terme sont encourageantes, notamment en termes de capacité et de régularité. L’éolien flottant permettrait d’augmenter encore les capacités sans poser de problème d’acceptation, puisqu’il sera invisible depuis la côte. Les hydroliennes ont également une forte capacité de développement et de baisse de leur coût, d’autant que leur utilisation le long des cotes françaises permettrait une fourniture 24h/24 du fait des décalages de marées.

L’électricité photovoltaïque restera chère à produire à l’horizon 2020, mais pourra devenir compétitive en auto-consommation avant cette date, ce qui pourra susciter une explosion de la filière si les techniques de production le permettent.

Évolution des technologies au-delà de 2020

Par la suite les technologies devraient évoluer considérablement en ce qui concerne les énergies renouvelables. Des ruptures technologiques pourraient se produire, y compris en ce qui concerne le stockage de l’électricité, sur lequel les géants de l’énergie investissent actuellement. Il s’agit d’un enjeu considérable. L’évolution des technologies nucléaires est quant à elle beaucoup plus lente, et un parc d’EPR engagerait la France pour une soixantaine d’années à technologie constante.

Bien évidemment il faut prendre en compte la capacité d’une filière à couvrir la demande ; c’est sur ce point qu’il existe des incertitudes importantes au sujet des énergies renouvelables.

Éolien versus nucléaire

Au vu de ces évolutions il est tentant de comparer l’éolien au nucléaire.

S’il semble clairement avantageux d’investir dans l’éolien de manière substantielle afin de constituer une filière industrielle solide, on peut se demander si cette filière pourra compenser le nucléaire.

La capacité d’un parc éolien à couvrir la demande et à s’intégrer au réseau fait l’objet de nombreux débats. D’après Réseau de Transport d’Électricité (RTE), il est tout à fait possible d’intégrer les 25 GW de puissance éolienne visés pour 2020 (10 % de la production 2010) sans surcoût notable par rapport aux autres énergies.

On lit souvent qu’une capacité éolienne doit s’appuyer sur la construction d’une capacité thermique équivalente, ce qui ferait augmenter les émissions de GES. Mais cette idée n’est pas conforme à la réalité : d’après RTE,comme nous l’avons vu, le besoin de puissance additionnelle est négligeable pour les premiers MW installés puis croit légèrement jusqu’à 10 %. À ce niveau l’éolien possèderait une capacité de substitution à l’énergie thermique de 20 %, c’est-à-dire à peine moins que sa production moyenne. En effet jusqu’à un certain taux de pénétration, les moyens d’équilibrage nécessaires à l’éolien sont assurés en grande partie par les moyens d’équilibrages déjà présents dans le réseau. En effet de nombreux moyens de réserves existent déjà pour pallier les pannes et la fluctuation de la demande.

Au-delà de ces 10 % les moyens de réserve nécessaires pourraient être plus importants. On connait mal l’impact que cela aurait en France et RTE estime que des études complémentaires sont nécessaires.

Il est difficile de prévoir si une évolution des technologies permettra au-delà de 2020 une plus forte intégration de l’éolien sans émission de GES. La réponse dépendra des autres énergies renouvelables, des capacités de gestion du réseau et du stockage.

Le gisement total de l’éolien en France est estimé par l’Ademe à 26 GW pour le terrestre et à 30 GW pour le maritime sur pied. Cela correspond à une production de 156 TWh/an, soit 28 % de la production actuelle d’électricité.

Ceci dit nous sommes aujourd’hui très loin des 10 % visés pour 2020 et qui permettent une intégration sans émission de GES supplémentaires. Ainsi la filière peut connaître un développement très important jusqu’à cette date, dans un contexte mondial très porteur : Areva prévoit d’ici 2030 un développement de 600 GW dans le monde pour l’éolien et de 350 GW pour le nucléaire.

Ceci dit pour remplacer le parc nucléaire actuel, il ne sera pas possible de compter uniquement sur l’éolien à moyen terme, même si ce remplacement se fait de manière progressive. Pour compenser ce parc par des moyens renouvelables, il faut élaborer un scénario chiffré reposant sur un ensemble de moyens. Il serait intéressant de comparer différents scénarios reposant sur des chiffrages réalistes.

Photovoltaïque

La production photovoltaïque est encore en germe. Elle interviendra très peu dans le remplacement du parc de production actuel à horizon 2020-2030, mais au-delà elle devrait jouer un rôle croissant.

Une explosion du photovoltaïque pourrait cependant avoir lieu avant 2020, dès lors que le prix à l’autoconsommation sera au niveau du prix de vente (ce qu’on appelle la parité réseau), et que des technologies, par exemple l’impression de cellules polymères selon les principes de l’imprimerie, permettront une production en masse.

Cette filière mérite donc d’être développée. Baisser les bras au prétexte que les Chinois ont fait baisser les prix en investissant pendant quelques années revient à capituler en rase campagne. Autant mettre tout de suite la clé sous la porte. Il est normal qu’un marché en développement connaisse des soubresauts. Pourquoi les industries européennes ne pourraient-elles pas relever le défi ? Il faut laisser du temps à une filière pour se développer, dans le cadre d’une stratégie pérenne initiée par les pouvoirs publics, comme cela a été fait pour le nucléaire.

Efficacité énergétique et comportements

D’autres énergies peuvent être développées de manière substantielle, notamment la biomasse en cogénération ou la géothermie en réseau de chaleur.

Cependant l’énergie la moins chère et la plus rentable est celle que l’on ne consomme pas : une action massive en faveur de l’efficacité et du comportement permetterait, à service rendu égal ou supérieur, d’économiser un nombre considérable de MWh. Ces MWh, au lieu d’être produits, seraient économisés. Cela revient à « produire » cette énergie, non pas sous forme d’énergie brute mais sous forme de service rendu énergétique. C’est le concept défendu par l’association négaWatt.

La comparaison avec une production est économiquement pertinente puisque les travaux nécessaires à ces négaWatts engendreraient une activité économique importante et serait source d’emploi local. Il ne s’agit ainsi pas d’une forme de décroissance, mais bien d’une autre forme de croissance, plus axée sur le service rendu. Celle-ci impliquerait investissement, temps de retour, rentabilité, emploi, filière industrielle.

On a coutume de dire que cela coûtera cher. C’est pourtant le contraire qui est vrai. Bien sûr cela nécessitera des investissements importants, mais ils rapporteront davantage. La difficulté réside dans le décalage dans le temps entre les dépenses et les recettes.

Justement, les banques sont là pour ça. Puisque l’opération est sûre et rentable, il est tout à fait possible de la financer. Les pouvoirs publics doivent pour cela organiser la filière pour que les opérateurs puissent bénéficier de garanties techniques et financières. Cet investissement rapporterait de l’argent, de l’emploi, favoriserait la sécurité énergétique, assurerait le développement d’une filière industrielle et réduirait la facture extérieure, tout en réduisant les émissions de GES. Que demander de plus ?

Comment renouvelle le parc actuel ?

Notre parc nucléaire est à mi-vie. Cela signifie que compte tenu des délais entre la décision et la mise en service, c’est maintenant qu’il faut préparer son renouvellement.

Nous avons vu qu’il faudrait l’équivalent de 38 EPR pour remplacer le parc actuel. Si le parc actuel est prolongé sur cinquante ans, ce dont la possibilité n’est pas certaine, il faudrait initier la construction de 12 EPR de 2015 à 2020, c’est-à-dire demain.

Le tiers de cette puissance pourrait être assuré à meilleur coût par l’éolien. Une autre part pourrait être remplacée par un programme d’économie d’énergie.

Et le reste ?

Pourra-t-on compenser la totalité du parc nucléaire par des énergies renouvelables et des économies d’énergie ? Faudra-t-il utiliser de manière transitoire des centrales à gaz ? Faudra-t-il avoir recours à des EPR ?

C’est tout l’enjeu des scénarios énergétiques qui devront être élaborés prochainement.

Pour répondre à ces questions il est nécessaire tout d’abord de prendre en compte le facteur temps. Personne ne propose d’arrêter immédiatement tous les réacteurs, et un remplacement progressif laisserait aux énergies renouvelables le temps de gagner en maturité. La question est de savoir si ce délai sera suffisant. À long terme, rares sont ceux qui contestent la capacité des énergies renouvelables. Le problème se situe sur le moyen terme, c’est-à-dire jusqu’en 2020-2030 ou 2050.

En effet après 2060, on peut dire sans grand risque que les énergies renouvelables pourront fournir la quasi-totalité de la demande électrique. Cela signifie que la filière nucléaire n’aura alors plus d’intérêt : trop couteuse pour un bénéfice/risque défavorable.

Mais avant cette date ?

Entre aujourd’hui et 2060, certains scénarios feront apparaître que de nouvelles centrales nucléaires sont indispensables, d’autres non. Faut-il investir dans cette filière qui deviendra inutile à long terme, pour affronter entre temps le défi climatique et les incertitudes sur le prix du gaz ?

La rapidité de l’évolution des énergies renouvelables à moyen terme est sur ce point donc d’une importance capitale. L’Agence Internationale pour l’Énergie (AIE), considère que ce paramètre dépendra pour beaucoup de la volonté des pouvoirs publics.

Conclusion : quelle énergie pour demain ?

Le débat sur l’énergie ne fait que commencer et nous souhaitons qu’il se développe sur la base la plus rigoureuse et sincère possible.

Un rapport complet et utile

Dans ce contexte le rapport de la Cour des Comptes sur « les Coûts de la Filière Electronucléaire » apporte une contribution importante. Le coût est un élément parmi d’autres, mais qui il peut servir de point de repère sur un sujet qui est porteur de controverses.

Ce document très complet prend en compte l’ensemble des paramètres qu’il avait pour mission d’évaluer. Il comporte certes des limites propres au cadre de sa mission, mais il explicite les compléments qui seraient nécessaires : études sur les externalités, chiffrages complémentaires, suivi régulier, évaluation de l’ensemble des énergies.

Il contient de nombreux points qui pourront servir de base aux débats futurs et comporte des recommandations importantes. On peut certes regretter que certains montants tout compris, ainsi qu’un chiffrage autour d’un jeu d’hypothèses, ne soient pas publiés. Toutefois le rapport contient les éléments qui permettent, comme nous l’avons fait, de les calculer soi-même. Les chiffres sont cohérents avec les grandeurs attendues mais il faut noter que celles-ci ont fortement varié au cours du temps.

La Cour des Comptes est consciente que cette évaluation comporte des incertitudes, c’est pourquoi elle souhaite que cet exercice soit renouvellé régulièrement. Elle souhaite également que les risques de l’industrie nucléaire ainsi que les externalités soient mieux évalués.

Un léger coup de gomme ?

On ne trouve pas dans la version finale le chiffrage du coût au MWh des EPR de série. Cela est pourtant d’une grande importance. Mais d’après la réponse du CEA qu’on peut lire en annexe du rapport, ainsi que d’après des échos de la presse, celui-ci devait être présent dans la préversion envoyée aux parties prenantes. Si cela est vrai, cela signifie qu’un petit coup de gomme a été pratiqué avant publication. Il est possible cependant de recalculer ce montant d’après les données du rapport.

Un renouvellement à prévoir

Le rapport insiste sur l’importance du renouvellement à venir et sur la nécessité d’élaborer une programmation publique et chiffrée.

Quelle que soit la solution retenue il faudra investir massivement. Quel sera le meilleur choix, alors que les projections reposent sur un ensemble complexe de paramètres, dans un monde qui change ?

Quel sera le coût des énergies dans 10 ans ? Dans 30 ans ? Quelle sera la capacité des énergie renouvelables à fournir la demande ? L’impact social, économique et environnemental des différentes énergies ? Quelle sera la démarche la plus fructueuse en termes industriels ? Quels sont les risques de l’industrie nucléaire ? Beaucoup de questions, beaucoup d’incertitudes. Pourtant un choix devra être fait rapidement.

À La croisée des chemins

Le prochain renouvellement de notre parc de production électrique se trouve pris entre 5 évidences contradictoires :

  • Un remplacement massif de notre parc de production à brève échéance.
  • Des incertitudes sur le prix du gaz, source d’énergie d’importation.
  • Le réchauffement climatique.
  • Les doutes sur la promesse initiale du nucléaire concernant la sécurité.
  • La montée en puissance des énergies d’avenir, renouvelables, mais en partie encore immatures

Le remplacement par du nucléaire pose le problème de la sécurité et du coût de cette énergie face à la baisse de long terme du coût des renouvelables. Le remplacement par du gaz, même provisoire, pose le problème de l’approvisionnement et de la facture énergétique extérieure, ainsi que des émissions de gaz à effet de serre. Le recours aux énergies renouvelables pose la question de leur relative immaturité et de leur capacité à fournir la demande à moyen terme.

Face à cela, nous sommes donc à la croisée des chemins. Un choix d’une importance considérable devra être fait dans les deux ans qui viennent et nous engagera pour une soixantaine d’années.

Pour éclaircir ce choix un travail doit être réalisé afin de chiffrer différents scénarios de manière précise et pertinente. Trop souvent aujourd’hui, on constate que les conclusions ne sont pas guidées par les arguments, mais qu’au contraire ce sont les arguments qui sont tirés en tous sens pour justifier une position préalable. Trop de raccourcis trompeurs et d’arguments parcellaires sont usuellement utilisés. Certes il est normal de traduire ses préférences dans le choix des hypothèses privilégiées, mais on aimerait que les hypothèses soient évaluées sur des arguments sincères, et que le jeu d’hypothèse soit exhaustif.

C’est seulement dans ce cas que les scénarios pourront nous aider à construire un choix éclairé. Les pouvoirs publics ont la responsabilité de stimuler des travaux impartiaux à l’abri des pressions diverses, et de faire émerger un large débat, qui nous parait nécessaire.

Celui-ci devra être à destination de tous les publics, pendant une période de temps suffisamment longue. La société civile, c’est-à-dire nous tous, avons la responsabilité de le faire vivre.

Notre avenir énergétique dépend que ce que nous allons décider.

Cela vaut la peine d’y consacrer un peu de temps et de cette précieuse énergie dont la source est située quelque part entre nos deux oreilles. Cette source est la meilleure qui soit : plus on l’utilise, plus elle est abondante. C’est sans doute là et nulle part ailleurs que se trouve la solution. Cette énergie a également besoin de volonté politique – c’est-à-dire la volonté de tous – pour être efficace.

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Références
Coût Nucléaire
Filière nucléaire, Divers
Energies Renouvelables, Réseau Electrique