Historique des estimations du coût du nucléaire
Des évaluations de coût très fluctuantes
À la lecture du rapport les protagonistes des camps opposés se sont félicités des chiffres publiés et ont entonné en chœur l’air du c’est bien ce que je disais.
Oui… mais quand ? Car en réalité les évaluations ont fluctué dans le temps.
Nous avons donc recherché l’historique des évaluations des coûts du nucléaire en nous aidant notamment de la Mission d'évaluation économique de la filière nucléaire, par Philippe Girard et Yves Marignac, et en utilisant les évaluations officielles ainsi d’autres sources. Nous les avons regroupés dans les deux tableaux suivants :
Historique des estimations du coût du nucléaire pour le parc futur |
|||||||
Année de l’étude |
Type réacteur |
Mise en service |
Durée |
Durée de fonct. |
Tx |
Source |
Coût |
1964/69 |
UNGG 480/720 |
|
20 |
|
7 |
PEON |
49/34 |
1969/70/73/74 |
REP 750-925 |
nc/1975-80 |
20 |
6600 h |
7-10 |
PEON |
30-38 |
1976-1 |
REP 1300 |
1982 |
20 |
6600 h |
10 |
PEON |
26,5 |
1976-2 |
‘ |
1990 |
‘ |
‘ |
‘ |
PEON : Nette hausse faisant suite au retour d’expérience de la construction de Fessenheim. |
52 |
1978/79/82/84 |
REP 925-1300 |
1985-92 |
20 |
6600h-base |
9 |
PEON-DIGEC |
52-60 |
1986/90/93 |
N4 |
95-2000 |
25 |
base |
8 |
DIGEC |
49-53 |
1997 |
N4 amélioré |
2005 |
30 |
base |
8 |
DIGEC |
39-40 |
2002 |
EPR 1600 |
nc |
60 |
92 % |
8 |
Areva |
26 |
2003 |
EPR série de 5 |
2012 |
60 |
|
8 |
Greenpeace / Détente |
72 |
2003 |
EPR |
2013 |
60 |
8760 h |
8 |
DGEMP |
33,4 |
2005 |
EPR |
|
40 |
92 % |
|
EDF |
47 |
2008 |
EPR |
2020 |
40 |
8760 h |
8 |
DGEMP : * Chiffre non publié en 2008 et communiqué sous forme d’indice. Révélé par la CdC en 2012 (p225) |
46,6* |
2008 |
EPR |
|
60 |
|
|
EDF (cité dans CdC) |
55 |
2010 |
EPR |
|
60 |
92 % |
|
AREVA 2010 (réponse à CdC) |
50-60 |
2011 |
Type EPR |
|
60 |
|
8 |
Banque UBS (100$ 2011) |
70 |
2012 |
EPR Prototype |
|
60 |
92 % ? |
5 |
CdC 2012 (prototype) |
70-90 |
2012 |
EPR |
|
60 |
92 % ? |
5 |
CdC 2012 citée par le CEA dans sa réponse au rapport. La version finale ne contient pas cette évaluation. |
75 |
2012 |
EPR |
|
60 |
‘ |
5 |
CdC 2012, extrapolation d’après son estimation du coût du MW installé (3,1 M€/MW) |
65-84 |
s
Historique des estimations du coût du nucléaire pour le parc existant |
|||||
Année Etude |
Durée de vie |
Durée de fonctionnement |
Tx act. |
Source |
Coût moyen €2010/MWh |
2000 |
Prévue |
|
8 |
Charpin Dessus Pelat (qui estime qu’un taux d’actualisation « neutre » de 4 % ou variable 6 %/3 % serait plus adapté, et que 8 % est « éthiquement inaccepable ») |
28 |
2012 |
40 |
408TWh/an |
5 |
CdC 2012 jusqu’à 2010 |
49,5 |
2012 |
40 |
408TWh/an |
5 |
CdC 2012, à partir de l’année 2011 |
54,2 |
(Données sources pour les tableaux. Tous les chiffres sont donnés en euro 2010 par MWh, et concernent le coût moyen de production. ).
A la lumière de ce tableau on constate que les estimations officielles ont pu varier du simple au triple.
Filière REP
Les estimations passent de 40 € en 1964 (filière graphite-gaz) à 35 € au début des années 1970 pour la filière REP (réacteur à eau pressurisée), et à 26 € en 1976. Le même rapport de 1976 annonce, pour la même filière, un coût de 52 €, soit le double. Il précise toutefois que ce deuxième montant concerne une mise en service en 1990 au lieu de 1982. Pourtant deux ans plus tard la même source annonce un coût de 52 € pour une mise en service en 1985, soit quasiment à la date qui correspondait deux ans plus tôt à un coût de 26 €. Étonnant.
En fait les experts ont été confrontés au retour d’expérience de la construction de la tête de série à Fessenheim. On peut remarquer – cela sera valable pour les EPR - que les estimations basses coïncident avec le lancement de la filière. Il est vrai qu’il est assez fréquent de constater que le coût de production est plus élevé que ce qui était annoncé avant la construction.
Mais, sans vouloir faire de procès d’intention, on a tout de même l’impression que le rapport de 1976 a utilisé le prétexte des années de mise en service pour justifier une hausse importante de l’estimation, qui sera explicite dans le rapport suivant.
Filière EPR : des évaluations qui vont du simple au triple
On retrouve une évolution similaire pour les EPR. En 2002, Areva annonce un prix de revient à 26 €. La firme explique que ce coût très bas est permis par une technologie optimisée. Greenpeace demande en 2003 une expertise à l’association Détente, qui conclut à un prix de 72 € pour une série de 5 EPR ; une estimation qu’elle dit avoir volontairement minimisée pour ne pas prêter le flanc à la critique.
En 1980 la DIGEC prend le relais de la commission PEON. En 2003 l’estimation est de 33 €. Puis, en 2008 elle passe brusquement à… l’indice 100. La commission se justifie en disant que le coût est un secret industriel. Mais comme les indices étaient utilisés pour le charbon et le gaz dont les coûts sont bien connus, les professionnels pouvaient aisément convertir l’indice en coût. En réalité l’estimation qu’on voulait cacher est passée de 33 € à 46 €. EDF publia la même année une estimation à 55 €. Aujourd’hui elle tourne autour de 75 €, soit trois fois plus que l’estimation initiale. Cette hausse coïncide avec les retours d’expérience de la construction des têtes de série.
La DGEMP, chargée d’estimer officiellement les coûts de production, a utilisé cette fois le prétexte d’un secret industriel pour masquer la hausse des estimations. Il est courant que les estimations doublent quand on passe du projet à la réalisation, mais les subterfuges utilisés pour masquer cette évolution sont à même de brouiller le débat et de tromper le grand public.
Enfin la Cour des Comptes ne donne pas d’estimation chiffrée du coût au MWh dans la version finale du rapport, mais on peut déduire celle-ci de la réponse du CEA à la préversion qui lui a été envoyée et d’après le coût de la puissance installée.
Coût du parc existant
L’historique pour le parc existant est moins fourni puisque cette évaluation n’a de sens que pour un parc à maturité. Elle permet une comparaison avec les estimations précédentes sur les données du parc réel, sauf pour les dépenses futures qui reposent sur des hypothèses.
Le chiffre le plus souvent cité est 49,5 €, soit le haut de la fourchette des estimations prédédantes. Cependant cette estimation n’est valable que jusqu’en 2010. À partir de 2011 il est nécessaire d’intégrer des investissements de maintenance en augmentation du fait d’un durcissement des normes de sécurité.
De fait la Cour des Comptes constate que les coûts du nucléaire sont en augmentation depuis le début de la filière et devraient continuer de croitre.
→ La Cour des Comptes estime le coût de production du parc existant, pour la période 2011-2025, à 54,5 €.
Les meilleures estimations ?
Si on considère la dernière estimation du coût de l’EPR (65-85 €), on peut être tenté de se demander qui s’en approchait le plus il y a dix ans. À ce jeu des projections on constate que les chiffres donnés par l’association de défense de l’environnement Greenpeace (72 €) étaient bien plus proches de la réalité que les chiffres donnés par le constructeur (26 €) ou par les instances officielles (33 €).
Ceci dit on ne constate pas d’explosion de la facture comme cela est parfois sous-entendu par les opposants au nucléaire. Toutefois, on s’aperçoit à lire l’historique des estimations que la prise en compte progressive des coûts supplémentaires ne s’est pas fait spontanément, mais sous la pression des critiques.
Enfin on note une tendance à diviser par deux les coûts avant la construction d’un nouveau type de réacteur. Bien sûr il est humain de sous-estimer le coût d’utilisation de ce qu’on doit vendre. Mais un décideur avisé – les pouvoirs publics en l’occurrence — se devait d’anticiper un tel écart.
Ces exagérations peuvent être comparées aux annonces de la filière éolienne qui en 2003 prévoyait pour 2010 un coût moitié moins élevé que ce qui est constaté aujourd’hui (d’après l’EWEA).
Cependant pour l’éolien les coûts baissent tandis que pour le nucléaire les coûts augmentent, et la tendance devrait se poursuivre. C’est un élément à prendre en compte lors d’un choix qui engage l’avenir sur une longue période.
Mais au fait, de quel type de coût parle-t-on ?
Un chiffre ne dit pas grand-chose à lui seul. Certes nous avons dit que nous utilisions le coût moyen de production, mais il est très instructif de connaître les différentes manières de calculer ces coûts. Différentes manières de calculer correspondent à différentes manières de présenter les choses… selon l’effet qu’on souhaite provoquer.
Essayons d’y voir un peu plus clair.