Contrairement à ce que laissent penser les médias et les recommandations de certaines ONG, l’impact de notre consommation en eau n’est pas proportionnel à la quantité consommée. Tout dépend du lieu, du moment et de la manière dont elle est utilisée. Surtout, il est impératif de prendre en considération l'impact de notre consommation indirecte. Plus facile à dire qu'à faire, en l'absence d'indicateurs clairs...
L'Impact de la consommation en eau est variable selon l'utilisation, le lieu et la saison
On nous alerte souvent sur la quantité d’eau que nous consommons. Certaines ONG (mais pas toutes) et nombre de médias bien intentionnés nous culpabilisent dès qu’on ouvre notre robinet, comme si chaque goutte d’eau utilisée était une ressource rare, consommée et gaspillée à jamais pour toute la planète.
Il n’en est rien. L’eau est une ressource renouvelable et recyclable à l’infini. Cependant, certaines utilisations, en certains endroits et à certains moments, peuvent conduire à prélever plus d’eau que la recharge du bassin. Par ailleurs, il est globalement impossible et non souhaitable, sauf urgence, de transporter de l’eau d’un bassin versant à un autre.
Cela signifie que l’eau consommée par exemple dans le bassin versant de la Seine lors d’un hiver normal ne va pas être retirée aux régions arides du pourtour méditerranéen. Même si on la gaspille cela n’aura aucun impact sur la disponibilité en eau, ni en Normandie, ni en région méditerranéenne, ni au Sahel lors d’une sécheresse importante… D’ailleurs, que signifie gaspiller ? L’eau utilisée à un endroit revient toujours quelque part : soit dans la nappe phréatique, soit dans le fleuve dans lequel elle a été prélevée auparavant, soit dans l’atmosphère, qui rendra cette eau à la terre sous forme de pluie quelque part. Replaçant ainsi tôt ou tard cette eau dans le cycle naturel de l’eau. Cette eau, à moyen terme, n’est pas gâchée.
Cela veut-il dire qu’on peut utiliser l’eau à tort et à travers ? Certainement pas. Tout dépend du lieu, du moment, du mode de prélèvement et de ce qu’on fait de cette eau. Mais dans tous les cas, utiliser l’eau d’une manière responsable nécessite de le faire à bon escient et de disposer des bonnes informations.
La notion d’empreinte eau : distinguer utilisation et impact
Évaluer la soutenabilité de son empreinte eau Selon le WWF, pour évaluer la soutenabilité de l'empreinte eau, il faut identifier les bassins hydrologiques dans laquelle l'eau est consommée et évaluer la rareté en eau bleue dans ces bassins, mois par mois. Quatre degrés de rareté peuvent être considérés : Faible : l'empreinte eau bleue* est inférieure à 20 % du ruissellement naturel ; le ruissellement est peu ou pas modifié Modéré : l'empreinte eau bleue* est comprise entre 20 et 30 % du ruissellement. Le ruissellement est modérément modifié Significatif : l'empreinte eau bleue* est comprise entre 30 et 40 % du ruissellement. Le ruissellement est significativement modifié Sévère : L'empreinte eau bleue* dépasse 40% du ruissellement ; celui-ci est sévèrement modifié ; les critères environnementaux d'écoulement ne sont pas respectés.
* Eau bleue : prélevée dans un fleuve, un lac, une nappe phréatique ... voir encadré ci-dessous. D’après : WWF 2012, cité en fin d'article |
L’empreinte eau (water footprint) est souvent considérée comme proportionnelle à une consommation d’eau. C’est dommage, car, comme nous venons de le dire, cela n’a pas grand sens. Ce qui fait sens, c’est l’impact de l’utilisation de l’eau sur l’environnement et sur la société. Or, pour prendre deux exemples opposés, faire couler l’eau du robinet dans un chalet de montagne au printemps, avec l’eau prélevée à une source qui se déverse dans un torrent et qui retournera au torrent, n’a aucun impact sur la quantité d’eau propre. Il est dans ce cas possible de laisser couler cette eau en permanence, pour faire joli : impact nul. C’est d’ailleurs ce qui se passe dans les nombreuses fontaines que l’on trouve en montagne et qui coulent en flux continu. Cela pourra surprendre un voyageur ayant vécu dans une région aride, mais pourtant, il n’y a là aucun gaspillage. Cette eau ne manquera à personne, pas même à ceux qui sont en aval dans le bassin versant, car cette eau propre retournera au torrent. Par contre, si on laisse couler l’eau dans ce même chalet en plein été, il est possible que cela contribue, non pas à assécher le torrent, mais à diminuer la pression pour ceux qui pelèrent au même endroit que vous. Et puis, les quelques pertes – mais qui retourneront d’une manière ou d’une autre dans le bassin versant — pourraient diminuer le torrent ou la rivière déjà en manque d’eau. Par contre si on laisse couler le robinet dans une île sans eau, ou dans une région désertique, bien évidemment, cela peut avoir un impact assez fort : voilà pourquoi les habitants de ces régions sont si économes avec l’eau. Ils s’adaptent à leur environnement immédiat, comme l’aurait fait n’importe qui.
Une consommation industrielle et agricole bien plus importante que la consommation domestique
Mais en réalité ce n’est pas la consommation domestique qui a un impact important. Celle-ci est souvent assez ridicule derrière la consommation industrielle et agricole.
Par ailleurs l’impact de sa consommation en eau dépend aussi de la manière dont on prélève l’eau : le cultivateur utilise-t-il l’eau de pluie ? Si oui, cette eau de pluie va-t-elle manquer pour approvisionner la nappe phréatique ou le fleuve ? Cela va-t-il gêner ceux qui sont plus en aval du bassin ? Cela dépend des endroits et des saisons. Utilise-t-il l’eau des nappes phréatiques ? Si oui, utilise-t-il plus d’eau qu’il n’en arrive, cela occasionne-t-il une gêne pour l’environnement ou pour d’autres professions ? Utilise-t-il de l’eau des nappes fossiles, qui ne se renouvellent jamais ? Si oui, le fait-il à un rythme qui menace d’épuisement à moyen ou court terme ? La dilution des nappes a-t-elle un impact sur la population, l’activité, l’écosystème, voire sur les équilibres géologiques (affaissements des sols, remontée d’eau salée…)
Tout dépend aussi de ce qu’on fait avec cette eau. Quand on arrose des plantes, une partie s’évapore et est perdue à court terme (sur le cycle présent) pour le bassin fluvial. Une partie peut s’infiltrer dans la terre et rejoindre une nappe phréatique, et rejoindre parfois à nouveau une rivière du bassin versant. Quand on l’utilise de manière industrielle, tout dépend de l’usage : si c’est pour refroidir, l’eau sera renvoyée dans le bassin versant, propre, mais elle aura acquis quelques calories par litre : cela peut sembler peu, mais cela peut avoir un impact sur l’écosystème local. Mais pas sur la disponibilité en eau du bassin versant. Si l’eau est utilisée pour nettoyer, diluer elle peut se charger de polluant. Si ces polluants ne sont pas nettoyés, l’eau sera bien rendue, mais sera indisponible, car sale. Et si en plus l’eau est rare, comme dans les lieux de teinture de vêtements en Afrique du Nord, une partie importante de l’eau deviendra indisponible, nuisant à la santé et à l’environnement. Ici, pour être précise, l’eau n’est pas consommée, c’est la disponibilité en eau utilisable qui diminue. Dans cet exemple cela paraît évident ; mais parfois, la nuance est plus subtile.
L'Enjeu : la consommation indirecte
Tout dépend aussi de la manière dont on comptabilise l’eau utilisée. Comme on l’a dit, l’eau prélevée directement par un consommateur a un impact très faible, sauf dans les régions connaissant un grand stress hydrique.
L/kg |
verte % |
bleue % |
grise % |
|
Chocolat |
17 196 |
98 |
1 |
1 |
Cuir de bœuf |
17 093 |
93 |
4 |
3 |
Bœuf |
15 415 |
94 |
4 |
3 |
Mouton |
10 412 |
94 |
5 |
1 |
Coton |
10 000 |
54 |
33 |
13 |
Porc |
5 988 |
82 |
8 |
10 |
Beurre |
5 553 |
85 |
8 |
7 |
Goat |
5 500 |
|||
Lait en poudre |
4 745 |
85 |
8 |
7 |
Poulet |
4 325 |
82 |
7 |
11 |
Œufs |
3 300 |
79 |
7 |
13 |
Fromage |
3 178 |
85 |
8 |
7 |
Riz |
2 497 |
68 |
20 |
11 |
Coton shirt 250g |
2 495 |
54 |
33 |
13 |
Pates sèches |
1 849 |
70 |
19 |
11 |
Sucre de canne |
1 728 |
66 |
27 |
6 |
Pain (from wheat) |
1 608 |
70 |
19 |
11 |
Pizza Margherita |
1 259 |
76 |
14 |
10 |
Maïs |
1 222 |
77 |
7 |
16 |
Lait |
1 020 |
85 |
8 |
7 |
Sucre de betterave |
920 |
62 |
19 |
19 |
Pomme |
822 |
68 |
16 |
15 |
Banane |
790 |
84 |
12 |
4 |
Orange |
560 |
72 |
20 |
9 |
Pomme de terre |
287 |
66 |
11 |
22 |
Laitue |
237 |
56 |
12 |
32 |
Tomate |
214 |
50 |
30 |
20 |
Café |
132 |
96 |
1 |
3 |
Vin, verre de 125ml |
109 |
70 |
16 |
14 |
Thé tasse de 250ml |
27 |
82 |
10 |
8 |
Eau verte ? Eau bleue ? Eau grise ? Selon les usages, l'eau n'est pas puisée de la même façon Eaux bleues : eau de surface et eau souterraine (fleuves, lacs, nappes phréatiques...) Eaux vertes : eau de pluie Eaux grises : quantité d'eau nécessaire pour diluer les polluants afin que l'eau corresponde aux normes en vigueur. |
Au fond, l’eau n’est jamais consommée (sauf cas rares : nappes fossiles), elle est utilisée. Aucun matériau sans doute n’est davantage recyclable. De plus, ce recyclage est gratuit et indéfin : la nature s’en charge. C’est le fameux cycle de l’eau : évaporation – pluie – rétention provisoire/écoulement vers les océans. Mais cette utilisation peut avoir un impact nul ou très important sur la ressource en eau utilisable et sur la biodiversité. Et générer ou pas un stress hydrique.
De toute évidence l’eau n’est pas, contrairement à ce qu’on entend souvent, un matériau rare à économiser coûte que coûte, dont chaque goutte compte. C’est un flux permanent, indéfiniment recyclable, et dans la plupart des cas non transportables d’un bassin à l’autre. Donc économiser ici n’a pas d’impact ailleurs. Par contre l’utilisation de cette eau peut avoir un impact très variable sur la santé humaine, la société, l’activité économique et la biodiversité. Par ailleurs, il faut prendre en compte la consommation indirecte, qui se fait en achetant des biens qui ont nécessité de l’eau pour les produire. Dans ce cas, on peut consommer des tonnes de litres d’eau à l’autre bout de la planète sans s’en rendre compte. Mais ce n’est pas la quantité d’eau qui compte, c’est l’impact de cette utilisation sur la société et sur l’environnement. Pour évaluer cet impact, il importe de se demander : Où ? Quand ? Comment ? Cela nécessite une disponibilité… en information
Conséquences pour le particulier
Conséquence : ce n’est pas en économisant l’eau du robinet lorqu'on se brosse les dents, lors d’une année normale et pour la plupart des régions de France, qu’on va améliorer son bilan hydrique et sauver la planète. Certes, le geste est louable. D'ailleurs l’eau du robinet est dans la plupart des cas traitée, et il faut pour cela de l’énergie et des ressources. Ainsi en gaspillant l’eau du robinet, on gaspille les ressources qu’il a fallu pour la traiter, ainsi que le contenu de son porte-monnaie. Mais sauf cas de stress hydrique important, on ne génère pas de manque d’eau ou de pollution. Il importe certes d’économiser l’eau chez soi, ne serait-ce que pour son propre budget et afin de prendre l’habitude d'avoir des gestes économes. Mais il ne faut pas en faire une obsession car cela aura dans la plupart des cas un impact faible. Beaucoup plus important par contre sera l’impact de notre consommation en produits et services divers : viande, coton, plastique, voiture, smartphone, café, chocolat, riz, cuir, trajets en avion… car tout cela a nécessité l’utilisation d’une quantité importante d’eau quelque part sur la planète. En région et en saison à stress hydrique ? Avec rejet d’eau polluée ? Il n'est pas toujours évident de la savoir. Le document que nous reproduisons ci-desous donne un aperçu de la soutenabilité en eau de notre consommation. Cela complique un peu l’évaluation de notre impact, il faut bien le reconnaître.
(Cliquez sur l'image pour agrandir : soutenabilité de la consommation française, WWF 2012)
Aussi, à défaut de demander à tous les consommateurs d’être des experts en impact environnemental, on pourrait au moins leur apporter une information claire. Et non faussée. Dans les médias, pour commencer, et sur l’étiquette. Pourquoi pas des codes couleurs, avec une information plus complète accessible sur internet via le code barre. Non pas en litre d’eau consommé, mais en stress hydrique généré.
Cela renvoie d’ailleurs à un thème plus large : donner au consommateur une information claire sur les impacts sociaux et écologiques de sa consommation. Aujourd’hui, nous achetons en aveugle. Achèterait-on des baskets s’il était marqué : ce produit a probablement été fabriqué par des enfants esclaves qui n’ont pas accès à la sécurité sociale et à l’école ? Ou encore : ce jean neuf-usé, faux cool et vraie coquetterie, provoque des cancers et des atteintes aux poumons dans de nombreux villages, et rend impropre à la consommation le peu d’eau disponible ? Encore fallait-il le savoir.
Des indications claires pour le consommateur...
Pourquoi pas des codes couleur sur l’impact social, les émissions de GES, le stress hydrique, la pollution, la biodiversité ? Cela risque bien sûr de faire beaucoup et d’être compliqué à appliquer. Mais on peut se limiter à trois indicateurs et commencer très progressivement. Cela aurait un impact très positif sur la consommation responsable. L’exemple des étiquetages énergie le montre assez bien. Et dans notre société de réseau et d’information, la chose devient possible. Possible et nécessaire : donc à faire.
Sources :
- L'Empreinte eau de la France, WWF, 2012
- De nombreux documents chiffrés sur : www.waterfootprint.org
- Water footprint of nations, A.K.Chapagain et A.Y. Hoekstra, Unesco, 2004
- N'hésitez pas à nous faire part de votre documentation...
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